mercredi, janvier 24, 2007

Quand internet sert (vraiment) à quelque chose...

Trouvé ça, chez Assouline (où, d'ordinaire, il est en effet recommandé d'ignorer les commentaires, sauf si l'auteur du blog se préoccupe d'opérer lui-même la sélection pour nous la resservir sous forme de post.)

“Merci M. Passouline, merci trois fois…merci mille fois ! C’est la première fois que je constate qu’un écrivain ose, de manière oblique et ironique il est vrai, s’attaquer à la profusion des livres et des imprimés dans notre civilisation. Lire 600 livres en deux mois, c’est mathématiquement impossible. Ce dont vous n’avez pas (encore ?) parlé, c’est de notre boulot: le pilon. Nous allons combler illico cette lacune pour l’édification de tous les éditeurs, écrivains et lecteurs de la République.

A la “rentrée littéraire”, le tsunami de papier nous submerge . La loi sur les 35 heures nous a beaucoup nui. Ni Ségo ni Sarko n’ont soufflé mot de notre existence. Pas la moindre allusion à notre sort peu enviable. Nous surnageons comme nous pouvons dans la marée blanche du papier. Même le papier hygiénique prend un autre canal que le nôtre et s’auto-détruit sans intervention humaine. A ce rythme, Sisyphe soi-même finirait par faire voler sa pierre en éclats si on lui imposait les contraintes que nous subissons. A peine avons-nous fini le dernier Houellebec qu’arrivent déjà sans crier gare les Goncourt, les Femina et surtout - notre bête noire- les dictionnaires, encyclopédies reliées en 18 volumes et les annuaires téléphoniques. Sans oublier les rapports gouvernementaux qu’on n’est pas censé lire, discrétion oblige. Et les erotica que les “bleus” de l’atelier anéantissent à l’aveugle, un “bandeau de pudeur” sur les yeux. (C’est le règlement de 1890, jamais abrogé, qui nous en fait encore l’obligation). Pendant que nous suons sang et eau, MM. les écrivains, eux, sont à l’honneur partout: Prix Machin, Emission Truc, critiques en-veux-tu-en-voilà dans les hebdos, les quotidiens, entretiens radio, bavardages, querelles, marketing, publicité. Ca palabre, ça roucoule, ça jacasse, ça pérore, ça plastronne urbi et orbi. De nous, il n’est JAMAIS question. Plus vous en faites, plus vous pondez, plus on a de boulot…Dur à suivre votre rythme par les temps qui courent… Grace !

De nous, nul ne se soucie et pourtant, comme les micro-organismes qui digèrent les déchets de nos fumiers de campagne sur lesquels les coqs chantent joyeusement, notre rôle est essentiel: débarrasser la planète de votre redoutable pollution: les “invendus”. Savez vous comment nous oeuvrons pour faire ce que Natura abhorret ? Comment nous produisons le “vacuum” vital sans lequel les auteurs ne sauraient produire de nouveaux livres pour alimenter notre pilon ? Dans nos ateliers souterrains de Barbès, mal éclairés et non ventilés, nous sommes condamnés à inhaler les vapeurs de l’encre encore humide et du brouillard de microparticules de papier, en fait, les déchets de vos oeuvres.

Le livre est en effet une marchandise aussi périssable que la langouste de Famagusta, le foie gras de canard au naturel ou le tamagoshi usé. Il s’agit de s’en débarrasser le plus rapidement et le plus hygiéniquement possible. Autrefois, on transformait la maculature en carton d’emballage. Mais les écolos ont interdit cette pratique nocive à Gaïa. C’est interdit de fumer partout. Y a des catalyseurs et des filtres à particules sur les bagnoles diesel mais pour nous: Rien ! Tout est encore fait à la main. Du pilon garanti “Made in France”. Et c’est nous, modestes et obscurs équarisseurs-éboueurs des Belles Lettres qui nous tapons le sale boulot: le dépiautage de tous les invendus. Des bouquins encore neufs, pas lus-pas vendus 3 mois seulement après leur sortie de presse. Un scandale intellectuel et écologique de grande envergure qu’aucun politicien n’a intégré dans son programme !

Dépiauter du Gallimard, du Julliard, le dernier roman de machintruc, c’est facile: on déchire le bandeau rouge, puis on écartèle la couverture et on attaque la phase la plus fastidieuse du boulot: l’arrachage page par page de l’ouvrage, de la première à la dernière. Chaque année, ils inventent de nouvelles colles plus adhésives au point où il faut attaquer parfois le bouquin au cutter ! Sans parler de ces engeances de vipère que sont ces p….d’agrafes. Une arrivée de brochés en poche ne nous fait pas peur mais ce sont les reliés qui font problème. Et la législation pléthorique de Matignon: tout en A4 120 grammes/mètre carré: une torture pour nos pauvres mains calleuses. Du solide ces lois …aussitôt promulguées, aussitôt oubliées… Depuis 3 mois, à la suite d’une grève d’avertissement, ils ont fini par nous doter de gants ad hoc pour nous protéger les mains: le papier, comme les saillies de la pensée, est très coupant. Sans parler des champignons microscopiques, de la “peste du papier” , des odeurs d’amoniac, de sufphure de plomb, de relents de zinc émanant des encres indélébiles. L’alpha bouffant passe encore mais les purs velins et le papier Bible de la Pléäide sont les plus résistants. (Et je ne parle pas des couvertures plastifiées: une calamité !!!)

Et dire qu’on produit des Home Cinemas et des Prius écolo à la chaîne, sans intervention humaine. Tout est robotisé dans ces usines japonaise alors que nous, à Barbès, on se les gèle dans notre sous-sol en s’intoxiquant à la poussière de papier et d’encre. (Parfois, j’en peux plus et je lis à la dérobée, sans en avoir l’air, le premier paragraphe de la dernière page que je viens d’arracher. Piètre digression… Et encore, faut pas se faire coincer par le contremaître parce que toute lecture est assimiléee à une faute professionnelle. J’ai failli me faire saquer en laisser traîner mon oeil sur un passage de votre Lutetia. Ca me distrait un peu, ces micro-lectures clandestines mais on est fouillé à la sortie. Pas question donc d’emporter une seule page arrachée aux milliers de livres pilonnés par nos soins chaque jour.) C’est pas une vie ça, vous avouerez ? Quant aux cameras de TV, on n’en a jamais vu débarquer dans notre Pilon Central pour montrer et rendre hommage à une profession totalement négligée, oubliée.

Nous, les soutiers, en avons marre.

Pourriez-vous, Monsieur Assouline, venir constater de vos propres yeux, le caractère fort ingrat de notre métier ? Vous serez bien reçu. Y a des bleus de travail à l’entrée de l’atelier pour protéger votre costard de toute salissure. On vous fera passer pour un nouveau pilonneur et vous pourrez vous essayer à notre art. En attendant votre visite, auriez-vous l’obligeance d’ intercéder auprès de vos confrères pour qu’ils aient une pensée pour nous et produisent MOINS et MIEUX ? Merci d’avance, de tout coeur. Et sachez que nos destinées sont étroitement liées:

Plus vous vendez, moins nous souffrons.

L.F.

PS: Si vous croisez M. Sarko, pourriez-vous lui dire que s’il a un karcher de trop dans sa remise, nous pourrions en faire bon usage à l’atelier ? Merci de votre obligeance et de votre bravitude à nous rejoindre en soute.”

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Cette lettre devrait être postée sur tous les sites web universitaires.